Entretien avec Jacques Généreux par le Cercle des Volontaires

http://youtu.be/7LbXhfWDIjw
15 octobre 2014 – Paris

Dans cette interview, Jacques Généreux fait une critique de gauche classique de la croissance, du néo-libéralisme, du libre-échangisme, de la circulation des marchandises et des capitaux, du fonctionnement de l’Union Européenne etc. Mais il fait aussi une critique, cette fois-ci, bien plus exceptionnelle venant d’une personnalité du Parti de Gauche, du système électif représentatif tel qu’il est appliqué depuis la Révolution Française, des outils démocratiques actuels et de la logique des partis politiques et en vient même à promouvoir, à plusieurs reprises, le tirage au sort. Le suffrage par le sort est pourtant un outil démocratique complètement rejeté à l’heure actuelle, à titre personnel, par les deux co-responsables de la commission VIe République (Mathilde L.1 et Clément S.2). Voici un résumé de cette interview avec mes commentaires et certaines références ou citations annexes.

Au début de l’interview, il est rappelé que Jacques Généreux est l’un des co-fondateurs du PG en 2008 et qu’il a été secrétaire national à l’économie entre 2008 et 2013. Et apparemment, il n’est pas prêt de reprendre des fonctions exécutives…

A partir de 5:00, Jacques Généreux explique que nous sommes en surdéveloppement dans les pays occidentaux comme le nôtre. Il rappelle que la finalité n’est pas l’économie mais le fait que les populations vivent mieux et soient heureuses. A 7:00, il évoque les conséquences du libre-échange et globalement du néo-libéralisme. A 9:00, il revient sur le fonctionnement de l’UE et le carcan des traités internationaux qui instaurent la libre circulation des capitaux et des marchandises. Il parle aussi que c’est bel et bien le politique qui a le pouvoir et non le financier ou l’économique. En revanche, le politique a donné de plus en plus de pouvoir au financier et à l’économique mais ce pouvoir, le politique peut lui retirer.

A 15:00, Jacques Généreux exprime que le principal problème est l’absence de souveraineté populaire : « Le problème n’est pas que le politique a cessé de gouverner sur l’économie. [..] Le problème est que le politique, au lieu d’être gouverné par l’intérêt général, il a été gouverné par des intérêts privés. Donc le problème n’est pas de remettre l’économie sous le contrôle du politique, elle l’a toujours été, elle n’a jamais cessé de l’être et elle ne cessera jamais de l’être. Le problème est de remettre la politique sous le contrôle des citoyens, c’est-à-dire de réinstaurer de la démocratie effective et réelle pour que les politiques publiques qui soient menées soient des politiques soient réellement dans l’intérêt commun ».

Il évoque ensuite le référendum révocatoire et le mandat actuel qui est l’équivalent d’un chèque en blanc donné à l’élu.

A 17:00, Jacques Généreux montre qu’il a confiance dans le peuple en disant ceci : « Faire qu’il y ait une partie des décisions, ou en tout cas des délibérations sur les questions du bien commun qui soient faites par des assemblées de citoyens ou des conventions de citoyens effectivement tirés au sort, parce qu’on sait que ça marche, ça a été expérimenté, et qui peuvent, de manière éclairé, par des débats, par des experts, etc. ensuite délibérer pour donner des conseils ou émettre des avis qui sont impératifs [..] On sait que ça marche ! Les citoyens, placés dans ces situations, peuvent réellement délibérer au nom de l’intérêt commun et non pas de leur intérêt personnel. A faire aussi, que dans certains cas, tout simplement, le peuple souverain, ait le dernier mot » (ndlr : référendum d’initiative citoyenne).

A 18:10, il explique que notre système politique est en panne, il le qualifie de « marché aux bulletins de vote qui ne fait pas le tri des bonnes politiques mais le tri des candidats qui sont les plus doués pour écraser les pieds de l’un et la face de l’autre pour prendre des places et conquérir des postes ». En ce sens, il rejoint l’analyse de Patrick Beauvillard (co-président de Nouvelle Donne)3 qui exprimait que « Bien souvent, les compétences qu’il faut pour être un bon candidat ne sont pas les même que les compétences qu’il faut pour être un bon élu. Malheureusement, c’est parfois même des compétences contraires. Pour être un bon candidat, il faut avoir de l’ambition, un égo chevillé au corps pour faire une campagne forte etc. Pour faire un bon élu, dans une démocratie représentative, il faut au contraire avoir un égo plutôt en retrait, puisque la mission de l’élu est de représenter ses concitoyens. Il y a des contradictions dans le système électif avec candidat. »

A 18:41, Jacques Généreux effectue une critique du fonctionnement des partis politiques que je partage. Je cite « En raison de la personnalisation du pouvoir et de cette pression de la compétition pour les postes est un système à faire fuir de la politique les gens qui font ça au nom du bien commun, de l’intérêt commun, à attirer ceux qui font ça soit pour s’en foutre pleins les poches, soit pour avoir des postes et du pouvoir et dans tous cela à trier pour savoir lesquels sont les plus doués ou pas ceux qui sont le plus capable de gagner la compétition politique. Mais cela ne demande pas exactement les mêmes talents que ceux qui sont nécessaire pour sélectionner les plus doués pour l’intérêt général, qui sont les plus doués pour imaginer et mettre en œuvre des solutions politiques efficaces pour résoudre nos problèmes. Donc ce système politique est non-démocratique, il est totalement inefficace, il faut effectivement en changer. Et qui peut en changer ? [..] C’est à la communauté des citoyens, donc à des assemblées, probablement tirés au sort et bien de mener ce débat pour définir de nouvelles règles du jeu politique ». Il se rapproche donc des analyses faites par la philosophe Simone Weil4 ou plus récemment du « Manifeste pour la Vraie Démocratie »5 que je cite ici même s’il est très radical et qu’il existe à chaque règle, son exception : « Bien sûr, bon nombre de citoyens naïfs, pleins de bonne volonté, tentent l’aventure politique. Elle reste possible au niveau d’un conseil municipal d’une petite commune. Mais si l’ambition est plus forte, notre prétendant sera obligé de passer sous les fourches caudines d’un parti politique. Il lui faudra subir la concurrence d’autres ambitieux (jeunes loups aux dents peut-être plus longues que les siennes), les tirs de barrage des notables déjà en place, subir la discipline du parti et de son bureau ou comité central, jouer au militant actif et dévoué, accepter d’avaler des couleuvres grosses comme des anacondas d’Amazonie. Il lui faudra longtemps jouer des coudes et glisser des peaux de bananes sous les pieds de ses adversaires avant de se voir accorder le strapontin recherché, puis le fauteuil convoité. Il lui faudra beaucoup de patience, une obstination de tous les instants, “l’égoïsme, la dureté et la ruse” (De Gaulle), l’indispensable baratin, la maîtrise de la langue de bois et de la rhétorique de son parti, le sens de la manipulation et le cynisme à doses massives pour la pratique systématique du mensonge (dans le cas peu probable où il ne serait pas mythomane). Il pourra ainsi gravir les échelons de la représentation élective : conseil municipal, mairie, conseil général, conseil régional, Assemblée Nationale, Sénat. Et pourquoi pas l’Élysée ?

La plupart des citoyens naïfs et pleins de bonne volonté sont tellement écœurés par ces pratiques indignes qu’ils ont tôt fait d’abandonner la partie et le parti. Leur honnêteté ne peut s’accommoder de toutes ces compromissions. Les crocodiles, qui ignorent l’envie de vomir, attendent leur heure en pataugeant dans l’eau trouble du marigot politicien. Ceux-là feront carrière dans la jungle politicienne et s’infiltreront dans l’oligarchie régnante, en costume trois pièces.

Quelles que soient leurs appartenances politiques et leurs antagonismes idéologiques, les membres de cette caste politicienne, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, forment une classe cohérente et solidaire qui les rassemblent tous dans le même univers clos, coupé du monde réel, la même bulle aristocratique, où chacun tient son rôle dans le jeu politique. Ainsi, deux députés qui s’invectivent vertement dans l’hémicycle, se retrouvent, un quart d’heure plus tard, à rire ensemble à la buvette de l’Assemblée Nationale, comme les meilleurs amis du monde. »

A partir de 21:30, il confirme le fait que lorsque l’on donne le pouvoir aux citoyens (via un référendum par exemple), une effervescence se créé, un débat a lieu, une mobilisation s’opère. Comme je le pense aussi, c’est en faisant confiance au peuple, en lui donnant plus de pouvoir, plus d’occasion de décider réellement (et non de déléguer son pouvoir politique à un représentant qui a un chèque en blanc), que le peuple s’investira et qu’un mouvement populaire s’instaurera.

A 22:00, il rappelle que le m6r est un collectif informel qui n’est pas dirigé par Jean-Luc Mélenchon mais qui a été initié par lui.

A 23:25, Jacques Généreux dit « Si l’on ne sort jamais du capitalisme, c’est précisément parce que nous sommes dans un système d’institutions politiques qui est fait pour enlever le pouvoir au peuple. Ce qu’on appelle démocratie, depuis deux siècles, ce sont des institutions politiques qui ont été inventés par des bourgeois non pas pour donner le pouvoir au peuple mais au contraire pour se protéger de la foule, se protéger de la « folie » du peuple. [..] C’était ça le but. Nous avons construits une espèce de mythologie de la démocratie révolutionnaire à la Rousseau avec cette idée, dans la démocratie idéale, Rousseau le disait lui-même, il ne le serait possible que dans un monde de dieux ou de citoyens qui soient des surhommes, et donc il faudrait d’abord changer l’homme pour que ce soit possible. »

Il fini en parlant de l’opinion publique, de l’absence de normes, des médias de masse, de l’information, du journalisme, de l’émancipation, de la morale et de la liberté individuelle.

Pi Wu

1 « Courriel sans titre », Commission VIe République du Parti de Gauche, Mathilde L., 8 octobre 2014
2 « Réaffirmer le politique : pour une constituante élue, contraire l’arbitraire du tirage au sort », clementsenechal.com, 7 octobre 2014
3 « La sociocratie à Nouvelle Donne par Patrick Beauvillard (co-président) », Patrick Beauvillard, 14 avril 2014
4 « Écrits de Londres et dernières lettres », Simone Weil, Paris, Gallimard, 1957, coll. « Espoir », p. 126 et s.
5 « Manifeste pour la Vraie Démocratie », André Tolmère, p.15 et 16

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