Jeudi 13 novembre 2014, un petit collectif de philosophes, d’historiens et de sociologue a publié une tribune à charge contre le suffrage par le sort. Tout comme les réalisateurs du film « Les nouveaux chiens de garde »1 révélaient les autres titres des élites économiques, nous pouvons faire le même exercice pour ces élites intellectuelles. Ces cinq personnes sont toutes membres du comité d’initiative du Mouvement pour la 6ème République (m6r)2, Pierre Crétois a appelé à voter Front de Gauche lors de l’élection présidentielle de 20123, Jean-Numa Ducange a initié l’appel pour un nouveau départ du Front de Gauche cette année4, Mathilde Larrère et Clément Sénéchal sont co-responsables de la commission 6ème République du Parti de Gauche et Stéphanie Roza est proche du Front de Gauche. Ce texte n’est pas isolé, il y en a un par mois qui sort depuis le lancement du m6r56. Les premières attaques viennent donc de notre propre camp : La « gauche progressiste », ceux qui scandaient, en 2012, « l’humain d’abord ».
En qualifiant les interventions des citoyens qui prônent une assemblée constituante tirée au sort « d’intempestives », les auteurs adoptent un discours méprisant envers ceux qui pensent différemment d’eux. L’expression de ces simples citoyens ne peut pas être perçue comme constructive, elle est forcément mal à propos. Le ton est donné dès l’introduction !
Ils mélangent la revendication des associations et collectifs citoyens souhaitant une assemblée constituante tirée au sort (afin que les hommes de pouvoir n’écrivent pas les règles du pouvoir) avec la possibilité d’avoir dans notre futur système politique des organes législatifs qui seraient tirés au sort. Les auteurs apportent volontairement de la confusion dans le débat public. Pourquoi volontairement ? Car cela a été maintes et maintes fois expliqué à Clément Sénéchal que le débat ne portait pas sur les futurs organes législatifs mais sur l’assemblée constituante. Pourtant, il perpétue cette confusion.
Les rédacteurs admettent que les professionnels de la politique, élus par le choix, sont « trop souvent méprisants envers leurs électeurs et serviles envers les grands de ce monde »7 et que seuls les personnes « munie d’un solide antidote théorique » pourraient faire face à la classe dominante, à l’influence des médias, à la pression des lobbys financiers et industriels, à savoir les militants engagés dans un parti politique. Si l’on observe les décisions prises par les parlementaires français (tous issus de partis politiques), on remarque, la plupart du temps, qu’il n’y a qu’une petite fraction des élus qui s’opposent aux intérêts des riches et des puissants. Le poids de ces militants politiques, formés, endurcis, résistants, au sein du corps électoral français (44 millions d’électeurs) est inférieur à 1% (440 000 militants). 99% des citoyens n’auraient pas ce « solide antidote théorique » et ne seraient donc pas apte à siéger au sein de l’assemblée constituante ? N’est-ce pas un sophisme que de lier les capacités de résistance au fait d’être encarté ? N’est-ce pas mépriser le peuple que de le considérer inapte ?
Admettons que les volontés de ce collectif d’intellectuels aboutissent. Si nous choisissons d’élire par le choix les citoyens siégeant au sein de l’assemblée constituante, il y aura une campagne suivie d’une élection nationale. Ce type de scénario sera assez similaire à une élection législative en somme. Or, combien d’élus issus d’associations (et non de partis politiques) siègent à l’assemblée nationale actuellement ? Aucun. Il y a donc fort à parier que seuls des militants issus des partis politiques se trouveront au sein de l’assemblée et que le texte constituant soit négocié entre les états-majors des partis politiques dominants et rédigé par leur porte-stylos. Les auteurs estiment que les partisans du suffrage par le sort ont une « vision naïve » mais n’est-ce pas naïf que de penser qu’une assemblée constituante élue par le choix à la proportionnelle pourrait être constituée à plus de 50% avec des élus des partis progressistes ? Au vu des précédentes élections, il y a fort à parier que le FN, l’UMP, le MoDem et le PS auraient plus de 70% des sièges. Doit-on donner la possibilité d’écrire ce texte qui encadrera les futurs hommes et femmes de pouvoir à ceux qui ont déjà le pouvoir, à savoir les partis politiques ? Pouvons-nous compter sur eux plutôt que sur le peuple pour qu’ils adoptent des outils et méthodes démocratiques visant à éviter les dérives actuelles ?
Ce texte se termine en méprisant à nouveau les partisans d’une assemblée constituante tirée au sort car il affirme qu’il n’y aurait pas de contre-pouvoir adossé à cette assemblée, qu’il n’y aurait pas de contrôle des citoyens constituants. Comme le dit le proverbe « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». Les intellectuels cités en début d’article (Yves Sintomer et Loïc Blondiaux), les associations et collectifs prônant une assemblée constituante tirée au sort ont toujours dit qu’elle ne se suffirait pas à elle-même et que des contre-pouvoirs devraient être mis en place. Clément Sénéchal le sait bien, cela lui a souvent été répété. Le clou final est certainement cette confusion que font les auteurs entre les termes « élire » et « voter ». Les partisans du tirage au sort sont généralement pour qu’il y ait plus de votes des citoyens et moins d’abandon du pouvoir politique à des représentants (élection). Donc évoquer une « remise en cause insidieuse du droit de vote » est tout simplement insultant.
Nous devons faire directement confiance au peuple (comme peut le faire la Fondation Sciences Citoyennes89) et pas uniquement à ses représentants. Il faut se demander comment les abstentionnistes, de plus en plus nombreux, peuvent revenir à la participation politique. Si nous souhaitons changer de constitution afin d’instaurer la démocratie en France, il faut sortir des schémas de pensée traditionnels et ne pas évacuer certains outils démocratiques tel que le suffrage par le sort.
En conclusion, j’ajouterai ces deux citations issues de nos propres rangs :
« La 6ème République ne peut pas être la chose des partis et elle ne peut pas être la chose d’un seul parti [..] C’est quand même beaucoup plus facile d’enthousiasmer la grande masse des gens si ce ne sont pas des politiques qui sont devant », Raquel Garrido, La Radio de Gauche, 21 octobre 2014
« En raison de la personnalisation du pouvoir et de cette pression de la compétition pour les postes est un système à faire fuir de la politique les gens qui font ça au nom du bien commun, de l’intérêt commun, à attirer ceux qui font ça soit pour s’en foutre pleins les poches, soit pour avoir des postes et du pouvoir et dans tous cela à trier pour savoir lesquels sont les plus doués ou pas ceux qui sont le plus capable de gagner la compétition politique. Mais cela ne demande pas exactement les mêmes talents que ceux qui sont nécessaire pour sélectionner les plus doués pour l’intérêt général, qui sont les plus doués pour imaginer et mettre en œuvre des solutions politiques efficaces pour résoudre nos problèmes. Donc ce système politique est non-démocratique, il est totalement inefficace, il faut effectivement en changer. Et qui peut en changer ? [..] C’est à la communauté des citoyens, donc à des assemblées, probablement tirés au sort et bien de mener ce débat pour définir de nouvelles règles du jeu politique », Jacques Généreux, Le cercle des volontaires, 15 octobre 2014
Pi Wu
1 « Les nouveaux chiens de garde », Gilles Balbastre, Jem Productions, 2011
2 « Déclaration pour la 6ème République », Collectif, Septembre 2014
3 « Appel de plus de cent philosophes à voter Front de Gauche », L’Humanité, 10 avril 2012
4 « Appel pour un nouveau départ du Front de Gauche », juin 2014
5 « Une VIe République sociale, écologique et démocratique », Regards, Laura Raim, 12 septembre 2014
6 « Réaffirmer le politique : pour une Constituante élue », Blog, Clément Sénéchal, 7 octobre 2014
7 « Une assemblée tirée au sort ? », Libération, Collectif, 13 novembre 2014
8 « Démocratiser le nucléaire… par tirage au sort », Libération, Jacques Testart, 31 mars 2011
9 « Comment les citoyens peuvent s’emparer des choix de société ? », La Vie, 7 juillet 2014